Ces poètes oubliés: Saint-Pol-Roux
CHRONIQUE - L'œuvre de ce baroque moderne, amoureux de la Bretagne et de ses habitants, est une ode à l'imaginaire et à la mer.
La popularité n’intéresse pas tout le monde. Malgré son ambition de construire une œuvre d’art totale, Saint-Pol-Roux fait partie de ces poètes s’étant offert de leur vivant « le magnifique plaisir de se faire oublier », a pu dire André Breton. Les textes qui nous sont parvenus de lui témoignent néanmoins d’une joie de vivre, et d’un amour pour la Bretagne jamais démenti.
Pierre-Paul Roux de son vrai nom est né le 15 janvier 1861 à Marseille, d’un père tuilier et d’une mère ménagère. Très tôt, il est envoyé pour ses études au collège Notre-Dame des Minimes à Lyon. Il a 15 ans à peine lorsqu’il fait représenter Raphaëlo le pèlerin, une pièce écrite de sa main. Ses premiers poèmes, publiés dans des revues éparses, prouvent par leur perfection technique que notre homme possédait très tôt les secrets de son art.
« On pourrait être quelqu’un de l’Univers, mais on veut être quelque chose du tout-Paris »
Saint-Pol-Roux
En 1880, son bac en poche, il s’engage tout d’abord dans l’armée au sein du 141e régiment d’infanterie ; puis soucieux de rassurer ses parents, monte à Paris pour faire des études de droit. Elles seront bien vite abandonnées : à la place, Pierre-Paul se met à fréquenter assidûment le salon du poète Stéphane Mallarmé pour lequel il a la plus grande admiration. Il y rencontre d’ailleurs celle qui deviendra sa femme, Amélie Bélorgey.
Alors qu’il vient d’avoir 32 ans, il fait paraître sous le pseudonyme de Saint-Pol-Roux la première édition d’un grand recueil de poèmes en prose, Les Reposoirs de la procession. Parallèlement, il travaille sur des pièces dont Louise, un opéra rédigé pour son ami Gustave Charpentier, et qui connaitra un grand succès. En raison de difficultés financières, il quitte Paris avec sa femme et son fils en 1895 pour le Finistère : sa fille Divine y nait en 1898.
La famille s’installe dans un manoir aux huit tourelles que le poète fait construire à Camaret-sur-Mer, autour d’une ancienne ferme face à l’océan. Dans le secret de son cabinet de travail, Saint-Pol-Roux accumule progressivement un nombre considérable d’écrits, avec pour ambition d’élaborer une « œuvre totale » qui répondrait à tous les sens. Mais de sa lointaine retraite, il n’échappe pas aux tourments du siècle : son fils meurt à la guerre en 1915, et quelques années plus tard il perd également son épouse, âgée de seulement 54 ans.
« Elle m’avait suivi pour servir de son sourire merveilleux mon destin de poète, mais au fond, va, c’est moi qui marchais dans son miraculeux sillage », écrit-il dans sa tristesse à André Antoine, un vieil ami. Jusqu’en 1939, il continue à publier dans La Dépêche de Brest divers poèmes en proses et en vers, dont les acteurs principaux sont les oiseaux, les pierres et les êtres qui peuplent son univers.
« Ne croyez pas que je m’ennuie dans une telle solitude où je vis parmi les idées – ces jolies filles de l’absolu – et aussi parmi les intrépides goélands élevés par ma fille »
Saint-Pol-Roux
En 1940, la guerre frappe à nouveau à sa porte. Quelques jours après l’arrivée des premières troupes, un soldat allemand investit le manoir sous prétexte de parachutistes cachés. Il tue Rose, la gouvernante, et blesse grièvement Divine avant de s’enfuir. Trois mois après ce drame, la demeure est pillée. Les manuscrits de Saint-Pol-Roux sont déchirés, certains brûlés. Comprenant qu’il lui sera impossible de reconstituer son ouvrage, un immense désespoir l’envahit. Atteint d’une crise d’urémie, il meurt à l’hôpital de Brest le 18 octobre, à l’âge de 79 ans.
Héritier du romantisme et fondateur du symbolisme, le « Mage de Camaret » est souvent décrit comme un baroque moderne. Son œuvre resta longtemps méconnue, en raison notamment de la dispersion de ses textes. Ceux-ci se lisent comme des histoires – ou plutôt se déclament, de préférence face à la mer et au vent. Il faut dire que chez cet artiste sensible, la vie et l’œuvre sont toujours été étroitement mêlés.
À la Libération en 1944, son manoir est bombardé par les avions alliés. Il n’en reste aujourd’hui que des ruines, mais entre les pierres desquelles on peut toujours entendre, en deux vagues au loin, quelques bribes de poèmes.
«Lied pour Zette»
Lorsqu’un être cher nous a quitté, nous nous sentons privé, semble-t-il, d’un royaume, et notre pauvre cœur, tel un oiseau tombé du nid sur le chemin, saute après l’infidèle qui ne sera plus qu’un fantôme demain.
Lorsqu’un être cher nous a quitté, notre âme pour le retenir alourdit de ses yeux la fugitive écharpe du sillage, et nous gardons en nous toute la peine afin qu’il ait toute la joie sur son visage pour le revenir.
Lorsqu’un être cher nous a quitté, comme à nous-même manque un diadème, à chaque chose il manque quelque chose, au soleil un sourire, une brise à la mer, au bois un rossignol, à la terre une rose.
Lorsqu’un être cher nous a quitté, nous nous disons qu’il reviendra peut-être un soir, et nous restons près du portail à voir passer, désespéré, tous les mensonges de l’Espoir.
Saint-Pol-Roux, 30 septembre 1931
«Sur une diligence de Bretagne»
Immense Guêpe aux ailes de cheval,
qui ruisselle parmi le joli val
flori par la brebis et le calvaire
où gazouille la coiffe héréditaire.
envieillis-moi vers le jeune autrefois
de bien avant les mains de la quenouille.
Ô Guêpe, vers l’éteint matin de roche
inencore enguirlandé par la cloche
appendant à la ruche de la croix,
oh ! m’enjeunis vers le vieil autrefois
de bien avant les yeux de la quenouille,
afin que viergement je m’agenouille !
Saint-Pol-Roux, de Douarnenez à Audierne, 19 octobre 1890